Théâtre en arabe : une expérience réussie !

Entretien avec Hadj Dahmane et Beatriz Gutiérrez sur l'expérience d'enseignement du théâtre en arabe auprès des étudiants de L2 LLCER Etudes arabes

Maître de conférences à l'Université de Haute Alsace, spécialiste de littérature comparée, du théâtre et du cinéma arabe contemporain, Hadj Dahmane a travaillé durant le premier semestre de l'année 2023-2024, avec la comédienne et metteure en scène Béatriz Gutiérrez, à l'élaboration d'un spectacle en arabe par les étudiantes et étudiants de licence 2 LLCER Etudes arabes, adapté à partir d'un texte de l'écrivain libanais Gibran Khalil Gibran, La Nuit et le Fou. Ce travail a donné lieu à une représentation le vendredi 15 décembre 2023. Dans cet entretien, ils reviennent tous deux sur cette expérience, qui s'inscrit dans le cadre plus large du programme ARTLINGO de la Faculté des Langues, Université de Strasbourg.

 

Pourquoi avoir choisi de travailler cette adaptation du Fou de Jibran Khalil Jibran ?

- Tout d’abord en ce qui concerne le choix de l’auteur, Gibran, il faut signaler qu’il s’agit, avant tout, d’un écrivain prolifique et polyvalent. Il est incontestable qu’il est surtout connu pour son œuvre majeure Le Prophète. Mais la renommée de cette œuvre n’a-t-elle pas occulté le caractère polyvalent de Gibran ? Par cette activité théâtrale, les étudiants ont pu découvrir que Gibran fut également un écrivain de théâtre. En abordant sa biographie, ils ont également découvert le côté polyvalent de notre auteur : poète, essayiste, dramaturge, peintre. Par ailleurs, Il est l’un des piliers de la Renaissance arabe (Nahda). En somme, Khalil Gibran est, non seulement un grand écrivain, de renommée internationale, connu aussi bien dans le monde arabe qu’en Occident, mais aussi et surtout un intellectuel engagé, artisan de la modernité et acteur du dialogue Orient-Occident.

Quant au thème de la folie, il est à signaler qu’il est très présent dans la culture arabe. Sa présence est tantôt liée à l’amour, à l’exemple, entre autres, de Majnûn Layla, et tantôt à la sagesse, à l’instar de Djoha et ce y compris dans la culture populaire, à l’exemple de Sidi Abderrahmane el Majdoub dont les poèmes sont plus connus au Maghreb qu’au Machreq.

Quoi qu’il en soit, le thème de la folie dans les œuvres devient une stratégie que l’auteur instrumentalise pour faire passer des idées, ainsi, on n’est plus dans la folie au sens négatif mais plutôt au sens positif. La pièce concernée interpelle, interroge et pousse à réfléchir sur la relation à l’Autre, au Divin, sur la place des traditions, sur le comportement des individus etc.

 

- Comment avez-vous procédé pour réaliser ce spectacle ?

- La réalisation du spectacle a été précédée par des séances de cours portant sur le théâtre arabe ou dans le monde arabe (naissance, évolution, tendances etc.) Ensuite, Il a été demandé aux étudiants de choisir une aire géographique (Maghreb, Moyen-Orient, Golfe) et présenter son théâtre, ce qui a permis de prendre conscience de la diversité et de la vitalité de cet art dans le monde arabe. Deux étudiants ont également été chargés de présenter la biographie de Gibran Khalil Gibran.

Par la suite, il y a eu un travail d’explication en partant du texte choisi, sur la mise en scène, la scénographie, la communication verbale en arabe (diction), non-verbale, posture, geste. Ainsi, à travers les répétions, on visait le développement des compétences communicatives, la diction portée sur la voix chantée, ainsi que les compétences d’écoute afin d’interagir au bon moment. Les participants se sont entrainés à parler à voix haute en s’appuyant sur le texte de l'auteur, à coordonner la voix, le geste et la posture. A travers les tirades et les longues phrases, ils ont éprouvé le plaisir de s’exprimer en arabe littéraire.

 

Quelles ont été les principales difficultés rencontrées ?

- Au début, on a été confronté principalement à deux difficultés : la timidité de certains étudiants, d’une part, et le niveau de langue d’autre part. Il est à signaler que pour certains étudiants, cette expérience fut leur tout premier contact avec le théâtre. Certains appréhendaient le fait de s’exposer au regard des autres. Mais la synergie du groupe a permis de surmonter cet obstacle. Au fur et à mesure des séances, on voyait les étudiants éprouver du plaisir à incarner leurs rôles.

Quant à l’hétérogénéité du niveau de la langue, l’entraide et la bonne complicité des étudiants ont permis de la surmonter aisément.  Les séquences, en fonction de leur longueur et de leur difficulté, ont été attribuées aux étudiants selon leurs niveaux de langue.

Enfin, signalons au passage que même si la bibliothèque du Portique qui a accueilli le spectacle final est un endroit agréable, une salle de spectacle aurait été à notre avis beaucoup plus adaptée au jeu des acteurs (déplacement etc.). Il serait intéressant, pour les prochaines expériences, d’anticiper la réservation de la salle de spectacle, de communiquer davantage autour de l’évènement afin de recevoir les étudiants et enseignants des autres facultés. 

 

Comment avez-vous surmonté ces difficultés ?

- Les difficultés ont été surmontées grâce à l’implication et l’engagement des étudiants, d’une part et grâce à l’andragogie des encadrants, professeur et metteur en scène d’autre part. Un travail d’explication, de mise en confiance, une atmosphère de respect ont beaucoup facilité le déroulement de notre expérience.

La technique théâtrale a bien fonctionné dans la stimulation des capacités d'apprentissage des étudiants qui ont, dès les premières séances de répétition, pu travailler les axes suivants :

  • La mémoire corporelle et l’appropriation de l’espace
  • L'incarnation des situations et la mise en bouche du texte
  • Le travail d’équipe, l’écoute et l’interaction

 

Que retiendrez-vous de cette expérience ?

- Cette première expérience au sein de la Faculté des Langues, nous a permis de retenir ce qui suit :

-  l’engagement des étudiants. Tous ont adhéré au projet dès ses débuts. En fin de semestre, certains ont manifesté leur souhait d’adhérer à des clubs de théâtre.

- la rencontre humaine (synergie de groupe)

- la pratique théâtrale a permis à certains étudiants de surmonter leur timidité

- d’autres se sont révélés « de véritable acteurs »

- l’efficacité d’enseigner autrement. En effet, la pratique théâtrale est un véritable outil pédagogique pour l’apprentissage de la langue, (apprendre par le jeu, par la répétition, etc.)

 

Pour terminer, signalons que cette première expérience de travail autour du théâtre arabe a eu un réel retentissement que l’on peut qualifier de succès : une trentaine d’inscrits. Nous avons été contraints de clore les inscriptions afin de garantir un bon déroulement du cours. Une expérience à renouveler !